Sequana
Née des larmes d’une nymphe poursuivie par un satyre, Sequana* , fleuve d’histoire, de légendes et de poésie, coule depuis ses sources jusqu’à l’estuaire.
Demi-vêtue quand vient le printemps, tu franchis ponts et passerelles.
Avec un brin d’audace et le mépris du danger, tu nargues parfois le merle siffleur et les moineaux de Paris.
Arrivée à la passerelle Simone de Beauvoir, tu deviens chef-d’œuvre raffiné portant sur les plats de ta reliure les gemmes, l’or et l’argent.
Au couchant, ta tranche s’orne de garance laissant par instant fleurir la dorure ciselée d’une fibule.
Habillée de bon vélin, tu vogues vers la pointe de l’île Saint-Louis.
Le croisement d’un regard, un frisson qui court sur la berge ; ainsi passe ta beauté, chatoyante dans ses éclats fugitifs.
De remous en remous, telle une fille sauvage, tu files au Pont de Sully.
A l’approche du Pont Marie, tu resterais bien dans la douceur bleue d’une Madone, mais il te faut saluer la gloire hautaine des grandes et nobles familles.
Vêtue de soie, tu fais un pas de danse au Pont d’Arcole.
Emplie de volupté au parfum délicat, tu laisses éclater ta joie.
Tu presses le pas pour arriver à l’heure au Marché aux fleurs.
En tablier bleu, le jardinier a cueilli pour toi, Sequana, jonquilles et tulipes multicolores.
Tu glisses la mieux épanouie dans ton livre d’heures.
Au Pont au Change, tu es éblouie par la Sainte-Chapelle, merveille de l’art gothique.
Tu empruntes un cheval de fiacre pour traverser l’île de la Cité et rejoindre les bouquinistes quai des Grands Augustins.
Le temps d’un soupir, tu croises les belles dames qui se poudrent aux miroirs chez Lapérouse. Vite lasse des plaisanteries salées et des propos musqués, tu retrouves le Pont Neuf.
Dans le bruyant concert des mouettes en exil, tu observes le perpétuel va-et-vient d’une foule sentimentale.
Tu caresses des yeux le Vert-Galant en son logis de verdure.
Là, sûre de toi, tu deviens Sirène aux écailles brodées.
Sous le pinceau de Paul Signac, tu arrives au Pont des Arts où le peintre néo-impressionniste fait, par ses harmonies et arrangements rythmiques, palpiter ton cœur.
Entre le musée du Louvre et l’Institut de France, tu apparais naïade aux yeux verts.
Insouciante, tu as la grâce dansante d’une indomptée.
A peine sortie d’un songe, tu portes une jonchée de roses aux Immortels de l’Académie.
Tu rêves des sources déjà lointaines qui, goutte à goutte, ruissellent jusqu’à Lutèce :
Sequana !
Sequana !
Avec les nouvelles clartés printanières, de légères demoiselles te contemplent de la balustrade des Tuileries.
Belle et scintillante dans ta nudité, tu fais une révérence au Pont Royal.
Jolie frimousse,
tu chantes au gai matin
sans t’inquiéter du lendemain.
Au Pont de la Concorde, tu dresses ta nappe de lumière, et les peupliers bruissent sur tes berges familières.
Seul, un anneau de fer attend le lourd chaland en provenance de l’estuaire.
Passent les jours, les semaines et se termine ta longue promenade : sept cent soixante seize kilomètres et six cents mètres je crois.
Mais ta curiosité demeure lorsque, de ta rive gauche, tu aperçois Honfleur, cité des peintres qu’il serait trop long de citer : Boudin, Daubigny, Jongking, Marquet, Seurat, Luce et bien d’autres.
Tu nous offres une dernière image avec une peinture de Félix Vallotton qui, depuis la Côte de Grâce, exécuta, en 1910, une huile sur toile : Vue d’Honfleur matin d’été.
La Seine déroule son ruban d’argent, ravie d’épouser l’immensité intime de l’estuaire.
VISUEL : Figuration de la Seine. Bas-relief de Jean Goujon, conçu à l’origine pour la fontaine des Innocents à Paris, et conservé aujourd’hui par le musée du Louvre.
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