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Chez Jules un jour de pluie

Cheminant entre digitales et genêts, Bacchus arrive au Monial, riant village assis sur les monts granitiques du Haut Livradois en Auvergne.

Il vient y retrouver Jules, son ami d’enfance.

Les chiens aboient. Une cheminée fume sous la pluie tenace. Il est là Jules, insaisissable solitaire.

Bacchus entre sans frapper.

Sur la croisée, le fantôme gris et rigide d’un rideau laisse passer un rai de lumière qui éclaire l’arête d’un cadre.

Un hoquet de pendule rythme ce jour pluvieux.


Jules apparaît avec sa casquette inclinée sur un œil aux aguets.

- Bonjour Jules. Quoi de neuf au pays de Gaspard des Montagnes ?

Jules, l’air bourru :

- Peu m’en chaut ; les nouvelles ne changent pas depuis cinquante ans, faits divers, météo, mesquineries politiciennes et guerre de religions.


Souvent, Jules s’enferme dans un silence obstiné mais, lorsque cajole le geai, il sort de sa mutité et se livre, généreux, déroulant une culture du meilleur aloi.

De bon matin, il part sur les chemins de sable blond en quête de sonorités nouvelles, de bruits insolites, de couleurs nées avec la rosée.


Vers dix heures, il revient, heureux tel le saumon qui retrouve sa frayère.

A son retour, c’est l’immuable rituel. Jules prend son carnet de moleskine bleue et s’installe sur son pupitre incliné, surmonté d’un méplat où s’enfonce un encrier de faïence. Délicieux moment où il note les dernières émotions rencontrées, les premières rimes d’un poème.


Heureux de retrouver Bacchus, Jules ouvre une boîte de fer blanc où des nougats de sa fabrication attendent les amis.


- Avouons-le Bacchus, ces instants de gourmandise s’associent au bonheur de l’existence.

- Vrai, ton nougat aux éclats de pistache est un pur bonheur, tel un baiser qui s’attarde sur les caresses du petit jour.


Tandis que la pluie s’applique à vernir le feuillage du grand chêne, la crête des montagnes s’ourle d’une brume tenace.


Levant ses yeux céladon, Jules prend une dimension mystique :

- Avec cette pluie, un monde nouveau semble habiter le ciel ; à la fois sombre et lumineux, il ne cesse de nous faire des signes.


A ces mots, Bacchus sort de sa besace l’ambroisie : un apéritif à la framboise sauvage des monts du Livradois ; une dive bouteille élaborée dans le chaudron du Fournioux par la brune Anne-Marie de la Chapelle-Agnon.


- Lève ton verre Jules, tu connaîtras un faisceau de couleurs, paix éternelle loin des tumultes du monde.

- Tu vois Bacchus, ce vin de framboise est pareil à la pluie qui chante sur les tuiles rouges de mon toit.


Dehors, c’est un ballet sauvage. L’eau ruisselle sur les chemins, les pierres reprennent de l’éclat, joyeuses sous les frondaisons.


- C’est vrai Jules, la pluie est comme un cortège dionysiaque où les Ménades et Silène contemplent la robe d’une framboise ; le désir avant de s’élever vers le plaisir.


- Authentique Bacchus, l’arôme de cette framboise est comme ce jour où, avec la pluie, le ruisseau enfle, incapable de freiner sa course, mais si élégant dans les courbes, embrassant roches et troncs des berges d’une accolade souple et bienveillante.


La pluie continue de tomber, plus dense, courbant les graminées, redressant les boutons d’or. Les bergeronnettes glissent sur leurs pattes, têtes noires et blanches tuniques.


- Ensemble Jules, il faut lutter pour conserver l’originalité de nos framboises sauvages, l’ancrage des fruits offerts par notre terroir, la fameuse terre de bruyère parfumée par les racines des sapins. Elaborer un apéritif à la framboise s’apparente à l’artisanat et à l’art. Il doit refléter la personnalité d’un savoir-faire et d’un terroir. Il faut se méfier des vins parfaits de la mondialisation. Un jour, ils tomberont aux oubliettes et seront rejetés par nos papilles pour la bonne raison qu’ils ne parleront plus de la terre, sans accès à notre imaginaire, notre désir, notre plaisir.


Dans un cri bleu et roux, un geai traverse l’air humide. Une pluie fine tombe à nouveau.


La moustache en gerbe d’avoine, Jules sort sur le perron :

- La pluie est une fête réveillant les mystères des bois du Haut Livradois.


Bacchus, j’écouterai sans fin la pluie chanter en donnant un baiser à notre terre. De cette alliance millénaire est née l’enivrante empreinte du parfum des framboises sauvages.


Charme inattendu, le vent balance les branches lourdes de pluie des sapins qui, comme par magie, deviennent aériennes dans une déclinaison de vert.

Maintenant, de grosses vagues de nuages se déchirent. Le soleil y entre et libère une lumière nouvelle, jamais rencontrée jusque-là.

Sans un mouvement d’ailes, un milan s’élève dans l’azur comme aspiré par la vis sans fin d’une ascension circulaire.


Au loin, une lueur orange annonce un lendemain où les sapins reprendront leur port altier, fiers d’habiter le Haut Livradois pour faire la cour aux framboises sauvages.


Goûte, Goûte, Goûte

Goûte compagnon

Lève ton verre et nous le remplirons


A bientôt compagnons du bousset, je vous retrouverai, un jour prochain, en compagnie de l’oiseau bleu.

***

En écho du murmure de la pluie, voici maintenant une page de l’histoire de l’’art avec le virtuose et poète du piano Frédéric Chopin.

Pianiste incomparable, avec ses Préludes, Polonaises, Mazurkas, Valses, Nocturnes, Impromptus, Sonates, il a exprimé le drame de sa patrie et celui de son existence.

Partition de Frédéric CHOPIN

Prélude de la goutte d’eau – Prélude op. 28 (N° 15)

George Sand, compagne de Frédéric Chopin, raconte que celui-ci composa son Prélude op. 28 n° 15 en ré bémol majeur à la Chartreuse de Valldemossa, pendant une tempête, alors qu’il pleuvait à flots. C’est sous le titre de Prélude de la goutte d’eau qu’il devint l’une des œuvres les plus célèbres de la littérature pour piano.

Dans son livre Un hiver à Majorque, George Sand raconte : « … Sa composition de ce soir là était bien pleine de gouttes de pluie qui résonnaient sur les tuiles sonores de la Chartreuse, mais elles s’étaient traduites dans son imagination et dans son chant par des larmes tombant du ciel sur son cœur ».

Né d’une mère polonaise et d’un père français, Frédéric Chopin (1810-1849) est une personnalité essentielle du romantisme.

A dix-sept ans, Frédéric Chopin possède une maîtrise affirmée de la technique de composition et une connaissance de l’univers musical de son époque.

Il est en mesure de créer.

Ces deux premiers Nocturnes sont les premiers d’une série de vingt et un qui accompagneront toute sa vie.

En 1831, Chopin découvre Paris, celui de Victor Hugo. Lamartine et Vigny y ont introduit une nouvelle poétique romantique que Musset et Théophile Gautier vont développer.

Arrivée de Nohant, une inconnue, Aurore Dupin, baronne Dudevant, signe son premier roman Indiana, du pseudonyme de George Sand.

Géricault imprime sa marque et Delacroix fait sensation.

Berlioz surprend puis émerveille avec sa Symphonie fantastique.

Frédéric Chopin noue un profond lien artistique avec Franz Liszt.

A l’automne 1836, il rencontre George Sand pour la première fois au cours d’une réception mondaine donnée par Liszt.

A la recherche d’un « amour sublime », George Sand est attirée par le mystérieux Chopin à la conversation choisie, et puis elle aime sa musique harmonieuse, légère.

La liaison Chopin/Sand naît en juin 1838.

Delacroix fait leur double portrait.

Fin octobre 1838, les amoureux partent pour Majorque. « Le séjour le plus romantique de la terre » déclare George Sand.

Autre bonheur, arrive enfin le piano promis par Pleyel.

Chopin travaille sans relâche à ses Préludes.

Le climat idyllique de Majorque se dégrade et fait place à des pluies torrentielles. Sublime inspiration pour Chopin. C’est là que va naître son fameux Prélude de la goutte d’eau.

La santé de Chopin se détériore. Retour à Nohant. La pluie les accueille en Berry. Qu’à cela ne tienne, Chopin crée, compose de nouvelles Sonates, Nocturnes, Mazurkas, Barcarolle.

George Sand écrit un nouveau roman, La Mare au diable.

A la fin de l’année 1846, Chopin rentre seul à Paris, déprimé, malade. Sa relation avec George Sand s’effiloche.

Chopin achève sa Sonate pour violoncelle et piano, chef-d’œuvre de la musique de chambre du dix-neuvième siècle.

Chopin est le plus souvent alité, les douleurs ne le quittent plus.

Miné par la phtisie, le 16 octobre au soir, Frédéric Chopin semble dormir quand minuit sonne au clocher de Saint-Roch.

A deux heures du matin, le 17 octobre 1846, Frédéric Chopin vient d’écrire sa dernière partition.

Le 30 octobre, l’église de la Madeleine est drapée de velours noir. L’organiste joue les Préludes en mi mineur et en si mineur opus 28.

Un immense cortège accompagne Chopin au cimetière du Père-Lachaise.

Sa sœur, Ludwika, emporte son cœur qui sera scellé à l’intérieur d’un pilier de l’église de la Sainte-Croix à Varsovie.

Avec ses deux cent vingt-cinq œuvres, Frédéric Chopin est toujours vivant.

Avant de se quitter, écoutons son Prélude op.28 n° 15 : une goutte d’eau qui vient emplir nos cœurs.

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