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UN ŒUF à LA COQUE en LIMAGNE


Bacchus arrive sous le ciel de la Limagne, plat pays méconnu, faille fertile au pied des volcans.

La nature artiste a fait l'Auvergne : art et architecture sont inséparables des grands boulversements géologiques.

Auvergne, dame de lave, tu portes à la fois ce raffinement, cette intelligence et cette mélancolie que Bacchus découvre dans les yeux de Maryse, belle comme une vierge romane.

Maryse habite Lempdes, ancien village vigneron, proche de Clermont-Ferrand.

Son grand-père possédait quelques arpents de vigne sur les coteaux de Banne.

Après sa journée chez Michelin, il montait à la vigne avec son bousset, petit tonnelet traditionnel des vignerons. Suite à l'apparition du phylloxéra, l'ancêtre était passé maître dans l'art du greffage, opération qui consistait à greffer, sur des plants de vigne résistants, un rameau de Gamay.

Lempdes a connu un homme d'exception en la personne de Pierre Boulanger, principal collaborateur d'Edouard Michelin, qui, en 1934, le chargea de la réorganisation de Citroën. C'est Pierre Boulanger qui, le premier, eut l'idée d'une petite voiture économique, utilitaire et populaire.

C'est lui le père de la fameuse 2 CV Citroën.

Le secret d'une venelle guide Bacchus vers la maison vigneronne de Maryse.

Un escalier extérieur conduit au perron couvert par un auvent.

Une grande pièce ensoleillée respire le parfum de cette Limagne aux accents de pigeonnier sur pilotis, de céréale, d'asperge, d'ail et de pressoir.

Près d'une fenêtre encastrée dans l'épais mur de pisé, une statue de Saint Verny, patron des vignerons, évoque ban des vendanges et bouilleur de cru.

Mais, la plus poignante image est le panier de grand-mère Anna, avec ses oeufs fraîchement cueillis sur la paille tiède.

Bacchus le sait bien : l'oeuf est un symbole universel liè à la genèse du monde.

L'oeuf est l'image de la perfection avec son ovale inimitable, le refuge de sa coquille, son blanc immaculé qui protége ce que nous attendons tous : la découverte du vitellus, ce jaune pareil à un soleil. Sera-t-il pâle, ocre, jaune safran, or ou roux ?

Dans un premier temps, il met le gastronome en joie.

Puis arrive un deuxième effet, résultat de la contemplation ; cette couleur jaune, puissance créatrice de la lumière, provoque une vibration de l'âme.

Elle évoque l'élévation comme celle de l'astre.

C'est une résonance, une chaleur rappelant le rayonnement maternel.

Du jaune monte une puissance folle. Notre Mère Terre s'ouvre, tutoie les quatre éléments, s'accouple ; le germe gonfle, bruit et s'épanouit dans la beauté de l'étamine d'une rose de Noël.

Attardons-nous sur ce jaune vieil or où vibrent les dernières forces de l'été.

L'oeuf est dans la poule, la poule dans l'oeuf répond Silésius.

Sans s'éloigner de trop, Bacchus choisit l'oeuf comme sa lune rousse, celle qui fait monter haut dans le ciel tous les bleus de l'été.

Maryse, cuisinière de haut lignage, veut garder le secret de la grand-mère Anna pour la cuisson des oeufs à la coque. C'est bien. Il ne faut jamais tout dévoiler. L'essentiel est de savoir qu'il suffit d'un rien pour faire ripaille.

L'oeuf à la coque prend des allures de fête avec des pointes d'asperges vertes, juste tendres mais croquantes, en guise de mouillettes.

Il faut voir Maryse décalotter l'oeuf avec son ciseau d'argent : une danseuse étoile dans son madapolam.

Ce mets est un plaisir indescriptible, la porte des sens, un rêve aux courbes lentes de la Limagne où se boit l'aube féminine d'un matin d'hiver.

Bacchus est ravi ; aussitôt il tire de sa besace l'ambroisie :

un SAVENNIERES AOC, Château de la Mulonnière, 2006

Le château de la Mulonnière tire son nom de l'argile et plus précisément du mulon. Ce terroir permet l'élaboration d'un vin blanc sec de haute maturité.

Ce vignoble ligérien est situé à quinze kilomètres au sud-ouest d'Angers, regardant passer le cours de la Loire.

La douceur du climat est accentuée par des coteaux abrités et orientés vers le midi.

Avec son cépage unique, cent pour cent chenin, le Savennières s'appuie sur une texture ferme d'une élégante amertume et surtout d'une tonalité saline.

Ce vin blanc est à servir entre 10 et 13°C.

Tandis qu'il neige doucement sur ses tempes, Bacchus aime se réjouir avec Maryse de cette robe jaune aux reflets paillés, de cet arôme, de cette élégance, toutes trois encloses dans ce Savennières.

Ah ! la vigne, toujours pleine de promesse, vient chaque jour ragaillardir Bacchus.

C'est aujourd'hui la fête des vendanges.

Maryse invite Bacchus au défilé des chars, moment délicieux où un sourire suffit pour que chacun s'ouvre au mystère de l'autre.

Avec son teint mat et ses yeux profonds, la Reine des vendanges ouvre le cortège. Une sensation au-delà des mots.

Au son de la fanfare arrive le char de Bacchus.

C'est l'exaltation vécue en pleine harmonie avec la nature ; les grappes gonflent, les cuves ne retiennent plus le moût qui coule à flot.

Des ménades dansantes offrent le vin nouveau en laissant les vagues de leurs rousses chevelures déferler sur leurs épaules.

Priape, Silène et Pan, compagnons de Bacchus, hurlent dans des postures frénétiques :

- Au diable les buveurs d'eau, gens austères qui ne peuvent plaire ni vivre longtemps !

Ceint de pampre et de lierre, taste-vin en main, Bacchus déclame la prose de Rabelais :

""... Attendez un peu que je hume quelques traits de cette bouteille ; c'est ma fontaine caballine, mon enthousiasme..."

Cette renaissance dionysiaque vient, chaque année, nous rappeler que la vigne est créatrice d'émotions, de saveurs et de poésie.

La fête continue dans les amples ondulations du bal musette.

Pour clore ce chemin où bouillonnent les coeurs, Maryse convie Bacchus à déguster un marc d'Auvergne dans la cave du grand-père.

Ils y descendent par une trappe et un escalier de pierre. Le sol est pavé en galets de l'Allier.

Près des tonneaux alignés, un visage de source ravinée par l'orage.

Le couchant a déposé son limon pourpre sur les lèvres encore frémissantes.

Un poème cotoie la dernière photo du grand-père vigneron :

La Bacchante

Parmi les dahlias pompeux et tuyautés,

aux teintes de grenat ou de vin d'alicante,

jaillit très durement un torse de bacchante,

faisant pointer ses seins que Bacchus a tétés.

Soûle de raisins mûrs et de fruits fermentés,

elle brandit son torse enguirlandé d'acanthe,

tandis que bleuissant sa hanche provocante

glisse la peau d'un tigre aux poils d'or tachetés.

Aux vents, comme des crins de cavale d'Afrique,

flambent gladiolés ses cheveux couleur brique

Cependant que son corps, impeccable et dodu,

aux chairs à reflets verts, de rouille parcelées,

menace de rouler sur les grappes gonflées

et se courbe en arrière ainsi qu'un arc tendu.

Johannès Gravier,

gendre du peintre Antonio de La Gandara

Goûte, Goûte, Goûte,

Goûte compagnon

Lève ton verre et nous le remplirons.

A bientôt compagnons du bousset, je vous retrouverai dans l'aube nouvelle de l'année 2016, à l'heure où la vigne nous livrera son premier sourire.

En écho de cette chronique,

voici maintenant une page de l'histoire de l'art avec le tableau ORANGE and YELLOW, peint en 1956, par Mark ROTHKO (1903-1970)

Marcus Rothkowitz naît le 26 septembre 1903 à Dvinsk, en Russie.

Renonçant à la figuration et aux thèmes d'inspiration mythologique qui le hantaient dans sa jeunesse, Mark Rothko est devenu, dans les années cinquante, un des plus grands artistes américains, un maître exemplaire de l'abstraction, un peintre fou de couleurs.

Pour Rothko, la couleur est une forme de clarté, de lumière intérieure. La couleur est pour lui un souffle puissant, "le décoratif opposé à l'austère, "la plénitude sensuelle par opposition à l'acidité".

Dans ses couleurs, parfois contrastées, parfois très proches, se superposent la clarté et l'obscurité, la transparence et l'opacité.

Il fut pratiquement le seul de sa génération à utiliser la technique de couches superposées de pigment pour rechercher une indéfinissable profondeur dont le résultat est la création d'une lumière intérieure.

Le grand Titien, dans son oeuvre tardive, s'était préoccupé de la multiplicité des variantes d'une même couleur.

Par cette technique, Rothko a, pour notre plus grand bonheur, obtenu cette aura de mystère qui occupe constamment l'oeil et ne le fatigue jamais.

Dans un appel vers une peinture aux frontières de l'invisible, Rothko se suicide aux premières heures du 25 février 1970.

Un an après, le 27 février 1971, aura lieu la consécration de la chapelle Rothko, lieu de culte interconfessionnel.

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