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Le mystère d’une caudalie


BOUTEILLES ROUGES – 1955

                                   de Nicolas de Staël (1914-1955)

huile sur toile – 73 X 100 cm

         collection particulière



Ce tableau se propose comme un mystère, allant au-delà des apparences pour rencontrer l’âme de son message.


             °   °   ° 


Elle se retourne, et sans s’arrêter, écarte de la main le large décolleté de sa robe dégrafée.

Elle me dévisage en souriant et reprend son chemin à travers les vignes. Rêve ou réalité ?

Est-ce la robe diaprée d’Isis ?

Alors que le jour décline, elle revient et me propose de la suivre. Le dernier rai du couchant souligne son visage où chaque ride est une émotion, une musique.

                        

Assis au creux d’un sofa rouge acajou, nous restons un instant silencieux.

Le mouvement de son ample chevelure rousse déclenche cette incandescence qui réveille l’élan d’une folle jeunesse, ardente, gouleyante et pleine de chaleur mûrissante.

                         Entends-tu le chant de la vigne ? me dit-elle.

A la faveur d’une grâce déliée, elle se lève pour prendre un livre contant le peintre Nicolas de Staël.

Ses mains, toujours prêtes à cueillir un fruit mûr, tournent lentement les pages. Sa chaude voix évoque une lumineuse passion où s’agenouille le désir.


Au chant d’une exclamation, elle s’arrête devant le tableau « Bouteilles rouges ».

Tous deux ressentent les pulsions intérieures qui résonnent de l’œuvre de Nicolas de Staël.

A l’unisson, chacun évoque les bouteilles empourprées dans leurs paraisons cardinales.

Livrée pivoine, redingote pavot et rouge pompon sur les lèvres, ces dives bouteilles ont la passion d’un rouge opéra qui retient ses velours sur la tendresse pourpre des sentiments.


Sur la gauche arrive un éclat illuminant le coin de table en framboise, lie-de-vin, oui c’est ça le rouge foncé tirant sur le violet.

Une nervure rouge magenta s’installe, aussitôt traversée par un puissant rouge vermillon. La voilà cette grâce qui révèle le secret de la palette du peintre, écho d’une feuille de vigne en son limbe.


Puis arrive une divine surprise : les pampres aux chatoiements de porphyres se métamorphosent en blondes vénitiennes à la robe raisin de Corinthe parée de perles garance.


Et que dire de cette lumière vermeille ? Vient-elle de l’aura des rites, des sacrifices ?


En appuyant le regard, les bouteilles gainées de soie, de cinabre deviennent courbures félines. Une idylle naît sous le pinceau de Nicolas de Staël, fragrance insoupçonnée sur le sentier des dames prêtes pour une parade d’amour.


Elle referme le livre et invite son hôte à rejoindre la terrasse où la thyrse de Dionysos ramène le chant de la vigne.


C’est l’heure où coule l’ambroisie drapée de soierie aux éclats fuchsias.


Une note rouge rubis pousse une clameur écarlate qui ondoie dans la volupté d’une caudalie.

               

Sur le chemin des vignes, une lune rousse aux arômes de réglisse offre ses galbes cuivrés où s’enlacent deux reflets roux.

                      

°   °   °


Le peintre Nicolas de Staël :


Nicolas de Staël von Holstein naît à Saint-Pétersbourg le 23 décembre 1913 (calendrier Julien), soit le 5 janvier 1914 du calendrier Grégorien.

Son père est le général-baron Ivanovitch de Staël-Holstein.

Sa mère, issue de la grande bourgeoisie, est passionnée de peinture et de musique.


Ami du poète René Char, équilibriste des couleurs et des lignes, Nicolas de Staël est resté sur le fil tendu entre réalité et irréalité.

De la couleur, il cherche à faire naître une lumière intérieure, une vibration secrète qui vont provoquer l’émotion jusqu’au vertige.

Avec l’audace des accords, il exalte le rouge vermillon jusqu’à l’aveuglement.


Pour Nicolas de Staël, toute chose se tient au bord de son abîme.


L’année 1955 commence dans la frénésie. Il assiste à deux concerts (Arnold Schönberg et Anton von Webern) et entame deux toiles « L’orchestre » et « Le concert ».


Le 16 mars 1955, son tableau « Le concert » - immense châssis de six mètres- est en cours de réalisation.

Épuisé à l’extrême tension que la peinture provoque chez lui et désespéré d’un amour refusé, Nicolas de Staël se donne la mort en se jetant du haut de la terrasse de son atelier sur les remparts d’Antibes.

Enterré le 21 mars au cimetière de Montrouge (Hauts-de-Seine) auprès de son amour Jeannine Guillou, peintre, il est, pour toujours, en compagnie des forces inépuisables de son dernier concert.


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Vêtue de rouge vermillon, voici dame caudalie :

En œnologie, caudalie est une unité de mesure de la persistance aromatique d’un vin correspondant à une seconde.

Elle sert à mesurer la longueur en bouche.

Exemple : le cépage Viognier vient s’épanouir sur un AOC Côtes-Rôtie en une finale incroyablement longue (environ 10 caudalies).



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