De la SOURCE à l’ESTUAIRE
Du diable Vauvert au palais de Marie de Médicis, le palais du Luxembourg a gardé cet air florentin.
Des terrasses des reines de France aux allées serpentines, ce lieu n’est qu’harmonie avec ses jets d’eau et de lumières.
Un havre de paix.
Imaginons ce que pouvait bien se dire, chaque matin, le peintre Delacroix en préparant sa palette :
qu’il faut aller toujours plus loin, plus haut dans l’enivrante moisson des couleurs de la vie.
que l’art confère aux choses éphémères l’éternité.
Chaque couleur possède un mystère.
Broyer un pigment outremer avec l’huile d’oeillette et apparaît un intense poudroiement sur les ailes du papillon Morpho.
A la source naissent le bleu, le jaune et le rouge : trois couleurs primaires pour aimer, chanter et danser jusqu’à l’estuaire où s’envole un hymne à la joie, volupté née de la rencontre de la figuration et de l’abstraction.
Les couleurs jubilent dans mon âme et revient toujours, sans cesse, le bleu avec les reflets saphir de l’aube jusqu’à l’indigo du crépuscule où choie le jour dans le sourire de l’heure bleue.
Le bleu vit intensément à la rencontre du jaune et du rouge.
Le bleu partout : sur la mer, dans le ciel, sur la canopée des hautes futaies, à la courbe d’un sein, au regard d’une muse.
L’art est bleu, infiniment bleu, sinon il n’est rien !
Alors que le noir se tient à la porte de l’indifférence, celle où grandissent les ombres de l’oubli, entre un feu de couleurs : Bleu, Jaune, Rouge.
BLEU
Le chant de l’azur
Le chapeau indigo du ménestrel
Une profonde délicatesse qui ne connaît d’atmosphère que la poésie
L’immensité intime
JAUNE
Cœur ensoleillé
Gourmandise
Crayon de couleur
Première chanterelle
Venelles de Naples
Tournesols de Van Gogh
ROUGE
Œillet à la boutonnière du barde
Chant du bouvreuil à l’éveil d’une pivoine
Voix pourpre du poète sur les bords de la Garonne
Incarnat sur la palette des Fauves
Le temps n’a plus de prise.
Delacroix demeure sous les frondaisons du jardin du Luxembourg, invitant le génie des arts à déplier son alphabet de couleurs :
A s’avance le premier, drapé des couleurs de l’arc-en-ciel
Brique vernie de bistre
Céladon l’averse de mai
Discordance du vert jaloux du bleu
Elfe au chapeau envoûté
Fougère enroulée au chant de la fauvette
Groseiller garance
H et son échelle
Irisée l’idylle de Mucha
Jaune la jonquille des Escures
Kaki comme l’ennui
Lumineuse lavande
Mordorée la bécasse à l’heure de la croule
Nuit d’encre indigo
Ode à la fée
Pourpre est venue Zénobie, reine de Palmyre
Questionne le silence
Rubis à la joue d’une cerise
Sable ocre sur le chemin satiné
Toupet de nacre sur le nuage
Ultime lueur
Vague émeraude
Wagon pour une verte pensée aux bouquinistes
X chercheur de couleurs
Y les yeux d’Elsa
Zébré blanc et noir zigzague le zèbre
Roland Souchon, juin 2024
Eugène DELACROIX – 1798. Saint-Maurice (Val-de-Marne) – 1863. Paris - 6, place Furstenberg
Fuyant la faux aiguisée du noir, Delacroix prend sa palette où coulent d’ardentes couleurs.
Il embrasse les tons de Véronèse, la force de Rubens et tient la main du Titien.
Avec Delacroix, les barricades s’écroulent, les chevaux hurlent tels des loups affamés de rouge.
Musicien de la peinture, il est à la fois Berlioz, Wagner et Beethoven.
A partir de 1824, il peint des scènes d’histoire.
Les Massacres de Scio (1824) qui retracent un épisode de la guerre que se livraient Grecs et Turcs.
La Mort de Sardanapale (1827) – Ce tableau est organisé selon une perspective diagonale très forte. Tout ici est mouvement avec une connotation orientale ; l’éclat des chairs imprègne le tableau d’une vive sensualité. Avec cette œuvre, Delacroix apparaît comme la figure centrale de la peinture romantique qui peut se définir comme une réaction contre la tradition classique. Les peintres acceptent la brièveté du temps, la fragilité de la vie qui doit être empreinte de passion, de fantastique et de couleurs.
La Liberté guidant le peuple (1831) qui a pour sujet la Révolution de 1830.
L’Entrée des Croisés dans Constantinople (1841) qui a pour thème le Moyen Age.
En 1832, un voyage en Orient lui inspire de nombreux tableaux : Les Femmes d’Alger (1834) et La Noce juive (1841).
Delacroix embarque comme attaché de son ami le comte de Morlay, chargé de mission auprès du Sultan du Maroc.
Ebloui par l’Orient, sa palette devient lumineuse ; il rencontre lumières et couleurs qu’il avait en songe.
Ces incessantes palpitations sillonnées par le char du soleil deviendront le grand principe de l’impressionnisme.
Aujourd’hui, un ange lutte encore sous la voûte bleue du paradis de Saint-Sulpice.
Delacroix a fait preuve d’une incroyable prouesse pour réaliser son ultime chef-d’œuvre : Jacob luttant avec l’ange, peinture murale à base de cire et d’huile.
Dans cette dernière œuvre monumentale, Delacroix réussit à traduire le contraste entre la vigueur physique de l’homme et la force étrange, immatérielle, douce et cependant invincible de l’ange qui le repousse.
Le 22 juillet 1861, il termine La Lutte de Jacob avec l’ange.
Il reste deux années à vivre à ce peintre de la douleur et du plaisir, à ce géant qui a toujours vécu dans le duel des contraires.
Magicien de la couleur, Delacroix, maître du romantisme, fut l’un des grands coloristes du dix-neuvième siècle.
C’est à partir du romantisme que peintres, poètes et musiciens tentent, en commun, d’élaborer enchantement et émerveillement suscités par l’art.
SOURCES :
La galerie des portraits, peintres illustres par Claude Bonnefoy chez Hachette
Histoire de l’art par Elie Faure – édition intégrale chez Bartillat
Eugène Delacroix – Journal -Tome I et Tome II – Nouvelle édition intégrale établie par Michèle Hannoosh chez Corti, 2009
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