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Bacchanale

L’aiguail brode son fil lorsque les premiers vendangeurs arrivent. Le lièvre regagne son gîte et les grives s’envolent dans le soleil blanc d’octobre.

Cueilleurs et porteurs vont bon train dans les chants et les rires malgré les doigts gourds du petit matin.

Cheval et charrette descendent au pas lent le chemin des vignes.

A l’entrée du village, tout habillé de pampres, Saint-Verny, patron des vignerons, salue la dernière charrette coiffée du bouquet des vendanges.

Il sonne midi au clocher du village. Bacchus retrouve ses amis Alain et Jean-Pierre sous le tilleul de la mairie.

Ils entrent à l’auberge dont le nom figure en lettres bleues sur l’auvent de la toile jaune : Le repaire de Silène.

Ariane et Diane, les sœurs d’Alain et de Jean-Pierre officient à la cuisine.

Un garçon obèse aux cheveux roux coupés en brosse vient prendre la commande.

L’unanimité se fait sur les deux spécialités de l’auberge : le civet de lapin* et sa poêlée de mousserons suivi d’une gourmandise, le péché d’Ariane* ( * les deux recettes vous sont proposées en fin de chronique).

Pour vêtir de pourpre les papilles friandes d’émotions, Bacchus commande

une bouteille de Canon Huppé, Côtes de Thongue, indication géographique protégée – Domaine Monplézy à Pézenas (34). C’est un vin rouge bio, cépage Cinsault amené à parfaite maturité – 14 % vol. – avec l’impérative nécessité de respecter la température de service à 14 degrés , car, chacun le sait, une fois le vin versé dans le verre, avec la chaleur de la main, déjà 2 degrés se rajoutent.

Serviette nouée autour du cou, les trois compagnons se régalent jusqu’à la dernière bouchée.

Et ce vin, splendide, plein d’émoi ! Dès la première gorgée, vous entendez le chant des grives dans la vigne, et, comme pour tout canon, c’est souvent après l’avoir goûté que l’on commence à discuter.

Alain évoque son grand-père, doyen des vignerons qui, au son du tambour, proclamait le ban des vendanges après avoir jugé de la maturité du raisin en fixant l’ouverture de la vendange.

Quant à Jean-Pierre, il parle longuement de son père qui laissait quelques grappes, perles fines pour les grives qui, la vendange passée, venaient se soûler sur la vigne aux flamboyantes couleurs.

Le dessert est annoncé, servi à pas feutrés de lionne par une fine mulâtresse aux souliers plats couleur de bougainvillée ; insolite parfum d’exotisme dans ce décors un peu fané dix-neuvième siècle.

C’est l’instant d’un rêve pour Bacchus qui imagine une divinité accompagnant le cortège de Dionysos à la villa des Mystères.

Regards extasiés, narines dilatées, les trois amis accueillent le Péché d’Ariane, cette gourmandise aux pêches de vigne servie avec un verre de vin blanc - AOC Vouvray de Montlouis-sur-Loire, issu du cépage unique Chenin – moelleux et effervescent avec son arôme caractéristique de bergamote sur un fond de miel d’acacia.

Ce délice déploie une double inspiration, mystique pour le péché de l’Homme à la rédemption du Fils, et poétique pour le chant des Muses.

Au moment du café, Ariane* rejoint la table de Bacchus*. D’une grâce illimitée avec son ample chevelure pareille à un cerf-volant aux riantes arabesques, Ariane vient leur offrir son cordial : une liqueur de pêche de vigne.

Tandis qu’arrive le chœur des ménades scandant le rythme en s’accompagnant de flûte et tambourin de deux enfants rieurs, Bacchus, Alain et Jean-Pierre déclament à l’unisson le poème La Vendangeuse de Théodore de Banville :

« …

Ô Vendangeuse ! tu souris,

Embrassons-nous jusqu’à l’ivresse !

Buvons encore, ô ma maîtresse !

Déroule tes cheveux chéris

Sur ces raisins ! car, ô merveilles !

Tes tresses blondes sont pareilles

Au soleil qui les a mûris,

Et ta bouche aux grappes vermeilles. »

Odelettes (1856)

Ravi de cette renaissance dionysiaque, Bacchus quitte l’auberge et ses amis lorsqu’il aperçoit, près de la fontaine, celle qu’il attendait.

Un coucher de soleil au fond des yeux, elle s’approche, sa peau exhale un parfum qui ne peut être que celui de sa beauté. C’est le grand soir.

Goûte, Goûte, Goûte

Goûte compagnon

Lève ton verre et nous le remplirons

Le motif de Bacchus, élevé par les nymphes du mont Nysa, popularisé par Ovide dans les Métamorphoses, a offert à Nicolas Poussin (1594-1665) des peintures érudites sur le thème des Bacchanales.

Voici, en écho, une page de l’histoire de l’art, avec pour l’illustrer un tableau peint vers 1660-1664 par Nicolas Poussin.

L’oiseau bleu de Knossos, vers 1500 av. J.-C

L’Automne dit aussi le Raisin de la Terre promise ou la grappe de Canaan

Huile sur toile, 117 cm x 160 cm

Paris, musée du Louvre

Nicolas Poussin a peint deux hommes portant une gigantesque grappe de raisin accrochée à une perche reposant sur leurs épaules.

  • Le peintre a t’ il voulu nous dire que cette grappe vient unir deux peuples israéliens et palestiniens réconciliés ?

  • La grappe de raisin prend également une forme symbolique rappelant le miracle de la transformation de l’eau en vin au cours des festivités des noces de Cana.

  • Enfin, souvenons-nous que le vin coule 441 fois dans la Bible. De même, c’est une hérésie de croire que le prophète Mahomet a interdit l’usage du vin. Il honorait souvent le vin d’Ismidt qui se buvait dans un gobelet de cristal irisé.

Voici donc, avec cette grappe de raisin, l’éloge du vin, boisson mystique de la Terre promise.

Laissant Paris, le titre de premier peintre, le pavillon des Tuileries, les sacs d’écus, les hommages de ses nombreux admirateurs, Nicolas Poussin retourne à Rome dans les années 1645-1646. Il est alors en pleine maturité.

Dans ses Bacchanales, Nicolas Poussin promène sa rêverie, le vin coule en ruisseaux par la grâce de Bacchus. Une grappe de raisin devient le centre sensuel de ses symphonies, une résonance musicale sous le chaud murmure du vent d’automne.

Nicolas Poussin est, sous la plume d’Elie Faure « cette âme profonde qui apparaît soudain quand on renonce presque à la saisir, l’âme idyllique, amoureuse et sensuelle d’un être décidé à accueillir la poésie et l’immoralité du monde à condition qu’il reste maître d’y tracer des routes sûres et d’accessibles sommets. »

Autres chefs-d’œuvre de Nicols Poussin :

Le triomphe de Bacchus

Bacchanale ou Bacchus et Ariane

Scène bachique ou Nymphe chevauchant un satyre

La nourriture de Bacchus ou la Petite Bacchanale

Bacchanale à la joueuse de guitare dit aussi la Grande Bacchanale

  • ARIANE : C’est l’héroïne immortelle pour être la compagne, l’amante-épouse de Bacchus ou de Dionysos pour la culture hellénistique

  • BACCHUS est le seul Dieu du Panthéon gréco-romain susceptible de s’inscrire à la charnière entre réalité naturelle et poésie.

Pour terminer, voici les deux recettes promises, recettes qu’Ariane tient de sa grand-mère qui la tenait elle-même de sa grand-mère qui la tenait…

LE CIVET DE LAPIN

1 lapin de deux kilos

1 bouteille de vin rouge Côtes-du-Rhône

3 oignons

2 gousses d’ail rose AOC

250 g de lardons * à choisir sur la tranche d’un jambon de pays Livradois-Forez

50 g de beurre

50 g de saindoux

2 cuillères d’huile

1 cuillère de farine

1 dl d’eau-de-vie (marc de raisin d’Auvergne)

Sel, poivre

1 bouquet de serpolet ou, à défaut, de thym de jardin

1 carré de chocolat noir

½ verre de sang du lapin

Au moment du sacrifice du lapin, conserver le sang avec une pointe de vinaigre

Découper le lapin en morceaux

Faire mariner un jour dans le vin rouge

Dans une cocotte en fonte, mettre à fondre le saindoux avec l’huile et les lardons

A feu vif, mettre les morceaux de lapin épongés et faire dorer

Flamber avec le marc

Saler, poivrer, ajouter ail rose et serpolet

Chauffer le vin qui a servi à la marinade, le verser sur le lapin et porter à ébullition

Laisser cuire à feu plus doux au moins une heure

Mélanger au sang une cuillère de farine et verser dans la cuisson en remuant bien

Laisser cuire encore quelques minutes, ajouter beurre et le carré de chocolat

La sauce doit être bien liée et brillante.

C’est simple non !

Le péché d’Ariane

10 pêches de vigne

100 g de sucre roux

2 cuillères de miel d’acacia

2 clous de girofle

1 bouteille de vin blanc Vouvray

Emonder les pêches en les plongeant une minute dans l’eau bouillante

Les passer ensuite sous l’eau froide

Couper les en lamelles

Cuire à feu doux pendant 20 minutes dans le Vouvray avec le sucre, le miel d’acacia et les clous de girofle

Refroidir

Vous pouvez, à votre guise, réduire le sirop et lui ajouter un verre de liqueur de pêche de vigne.

et dites-vous souvent :

Tant que la rose parfume le jardin, buvons avec les amis le rubis de la vigne

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