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Le mystère d'un bleu


Le temps n’a point de rives, 1930-1939

                                Huile sur toile, 100 x 81,3 cm

                               Musée d’art moderne, New York

                                      don anonyme,1943


Cette œuvre est de Marc CHAGALL, né Moïshe ZAKHAROVITCH CHAGALOV, peintre expressionniste.

Il naît le 6 juillet 1887 à Vitebsk (Biélorussie).

En 1937, le Front populaire lui accorde la nationalité française.

Son bleu est devenu céleste le 28 mars 1985 à Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes).

                              


***



        Le jour se lève.


Une fraîcheur légère traverse la glycine et pénètre dans l’atelier.

Sur la palette du peintre arrivent les bleus : égyptien, azurite, indigo, de Prusse et de cobalt. Le bleu céruléen est proche du jaune de Naples. Le rouge vermillon attend son heure.

Le pigment bleu outremer a rejoint le parfum de l’huile de lin.

Comme une joie de vivre, le peintre s’installe à son chevalet.

Vient le mystère des premières esquisses où s’accroche une lueur bleue ; à cet instant, l’art est libéré des discours inutiles.

Peu à peu se dévoile la poésie des êtres et des choses.

Dans le brasier des couleurs, le peintre est hors du temps. Il transmet le feu qui l’habite et en partage son mystère.


Entrons dans le tableau pour y puiser cette foi vivifiante où souffle le bleu de Chagall.


L’émerveillement débute avec le poisson drapé des ailes de l’azur.

Pénétré des forces sacrées de l’abîme, voilà ichtus, sauveur du déluge, porteur de fertilité et de fécondité.

Chagall est le peintre des évocations mystérieuses cristallisées dans la couleur bleue.

Libre, rebelle à tout académisme, il s’est autorisé à peindre comme il rêvait.

Maître incontesté de la couleur, il rend au bleu sa liberté.

Sa palette vibre sur des bleus allant de l’aube à la nuit en passant par l’heure bleue où s’exprime le langage du poète.

Sur ce poisson volant, chaque bleu s’illumine au contact d’un vert Véronèse et fusionne à la clameur d’un rouge vermillon.


Le poisson survole une horloge en bravant le temps.

L’horloge avec son balancier jaune vif rythme le jour, la nuit, les saisons où chaque être doit trouver sa cadence dans le bleu du temps.

L’horloge vient nous dire que le temps s’écoule, inexorable ; l’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient.

Cette huile sur toile est une œuvre singulière où le peintre a inventé son propre langage pour nous livrer sa vérité : prendre le temps d’aimer.


Avec le poisson, une main accompagne un violon pour nous conter le pouvoir magique de la musique.

S’agit-il du violon d’Orphée, de Thoth, de Brahma ou bien celui de Jubal ?

Chagall cherche-t-il avec ce violon la plénitude de la vie cosmique, l’accord de l’âme et du corps ?

Il veut sûrement nous confier que la musique joue ce rôle médiateur pour élargir les échanges jusqu’aux limites du divin.


La passion d’aimer est au cœur des deux personnages unis, en bas à droite du tableau.

La ferveur de ces deux êtres chante la tendresse.

Voici venu le temps d’aimer, prolongement infini, hors du temps. Le temps n’a plus de rives.

Avec le bleu, la plus immatérielle des couleurs, Chagall nous emmène vers cette immensité intime qui conduit au rêve.


Les couleurs de Chagall s’unissent pour faire naître des tonalités novatrices autour du bleu.

Bleu dont le mystère a grandi au contact des poètes et des écrivains qui ont accompagné Marc Chagall toute sa vie.

Union magique des mots et des couleurs avec Blaise Cendrars, Paul Eluard, Pierre Reverdy, Jean Paulhan, Louis Aragon, André Pieyre de Mandiargues jusqu’à André Malraux, l’ami fidèle de toute une vie, qui lui commandera le plafond de l’opéra de Paris en 1964 et permettra à Chagall de réaliser son Message biblique.


Bleu, mystérieux appel, message de paix pour le peintre de l’exil.

La perpétuelle métaphore du peintre-poète se passe de longs discours. 

Aimanté par l’ouvert, son bleu grandit, atteint le vertige des cimes ou frôle l’abîme.


Le bleu de Marc Chagall nous dévoile le mystère d’une source inépuisable où s’écoute l’immatériel murmure du bonheur.



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