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L'escarpolette des Tuileries

Bacchus arrive au jardin des Tuileries.

Le ciel de Paris s'étire en longs sillons laiteux sortis des sables de l'insomnie.

Une clarté semble venir de la place de la Concorde ; elle augure une journée inhabituelle.

Cheminant sur la terrasse des Feuillants, Bacchus aperçoit une muse.

Comme un ballet bien réglé, le soleil s'invite et vient caresser cette silhouette printanière, élancée dans sa jupe courte, colorée comme l'amandier en fleurs.

Elle s'approche.

Son prénom est Sonia : une gorge heureuse dans un bustier élégant réhaussé par une chevelure de feu ; le plus séduisant est son regard clair, brillant comme l'aiguail.

D'une légèreté profonde, elle demande à Bacchus de l'aider à s'élancer sur l'escarpolette.

Les bras de la balançoire vont et viennent dans une harmonie raffinée avec des modulations inattendues.

L'escarpolette se fait soprano lyrique.

Bacchus laisse jaillir cette source où s'abreuve l'espérance du monde.

La grâce de l'élan est un baiser aux frondaisons nouvelles. Sonia, avec une tranquille et fascinante audace, s'élance encore plus haut, jusqu'au ciel. Un enchantement. Une gourmandise avant l'heure.

Bacchus veut prolonger cette rencontre inattendue et propose à Sonia de faire le tour du jardin des Tuileries, que Catherine de Médicis fit tracer par Pierre le Nôtre en 1564.

Grâce au sol argileux du lieu sont nés des ateliers destinés à la confection de briques et de tuiles. D'ou son nom : les Tuileries.

Aujourd'hui, ce jardin est un paradis des sens, éclat des couleurs, harmonies et parfums.

Bacchus raconte à Sonia qu'il a passé son enfance dans un jardin, un vrai où poussaient la sauge aux yeux bleus, l'oeillet de poète et la rose de Noël. Puis les fleurs du chemin lui enseignèrent l'errance, une errance fertile guidée par la tendresse de sa mère.

En contrebas de la terrasse des Feuillants, Bacchus s'arrête autour de la sculpture de Gabriel Pech, installée dans les quinconces des marronniers. Elle évoque le conteur Charles Perrault qui a convaincu Colbert de maintenir le jardin royal des Tuileries ouvert au public après sa restructuration par André le Nôtre, vers 1670.

Traversant le Grand Couvert, Bacchus et Sonia conviennent de prendre un peu de fraîcheur près du bassin où les vertus helléniques font halte devant l'exèdre.

Apollon et Daphné les accueillent pour une gourmandise.

Ils entrent chez Véry pour y déguster une COUPE GLACEE AUX GRIOTTES de MONTMORENCY, un délice pareil à une cuisse de nymphe.

Ah! la cerise de Montmorency avec sa chair blanche, fondante, très acidulée. Sa pulpe a les attraits du vin.

Bigarreau, burlat, reverchon, coeur de pigeon, guigne, elles sont nombreuses les variétés de cerises, mais Bacchus préfére la "gaudriole", surnom de la Montmorency à son apogée au dix-huitième siècle.

Aujourd'hui, environ six cents cerisiers sont toujours debout à Montmorency sur le département du Val-d'Oise.

Grignotée par l'urbanisation qui dévore les vergers, sa production est à présent plus confidentielle.

Dépêchons-nous de planter ce cerisier. Son fruit, griotte acide, révéle, en cuisine, ses qualités gustatives que l'on peut accorder avec viandes et gibiers ou associer aux desserts.

Le garçon du café Véry a l'insolence de leur proposer une infusion de queues de cerises.

Baste! C'est la cerise sur le gâteau qu'ils veulent.

Bacchus sort de sa besace l'ambroisie. Une kyrielle de petites fioles : RATAFIA, CHERRY, GUIGNOLET, MARASQUIN, KIRSCH et une KRIEK belge.

Pas d'ivresse avec ces petits bonheurs, juste la joie de passer sur l'autre rive, vers l'adret.

Sonia en devient rouge de plaisir.

Voilà le rouge qui s'invite à cette fête improvisée. Le rouge, fille de la lumière.

Saillante par excellence, exaltante, la couleur rouge s'impose sans discrétion.

Magenta, gueules, sanguine ou pourpre, elle symbolise l'amour, la hardiesse, la vaillance et le courage.

Alors, pourquoi les cerises sont-elles rouges ?

Sonia, qui, de temps en temps, offre son charme comme modèle vivant à l'école des Beaux-Arts toute proche, a la réponse.

Lorsque la cerise est éclairée, elle reçoit les trois couleurs-lumière primaires-le bleu, le vert et le rouge. Elle absorbe les rayons bleus et verts et réfléchit les rouges ; ce qui, par conséquent, nous fait voir la cerise rouge.

Sonia a aussi appris qu'avec les trois couleurs-pigment primaires- bleu cyan, rouge magenta, jaune en y ajoutant le blanc, il est possible d'obtenir toutes les couleurs de la nature, y compris le noir.

La balade se poursuit vers le Grand Carré.

Micocoulier et arbre de Judée sous sa frondaison font révérence aux bassins ronds.

Près d'une Diane chasseresse, sautillant de joie, un barde cherche la note "La" sur son saxophone, la voyelle "i" s'envole et arrive la chanson :

(...)

ROUGE

Comme le vin de Bordeaux,

Dans ma tête étoilée

ROUGE

Comme le sang de Rimbaud

Coulant sur un cahier

ROUGE

Comme le feu des Tziganes

Quand les violons s'affolent

ROUGE

Comme les lèvres d'une femme

Quand l'amour la rend folle

(...)

Rouge,

Musique de Jacques Revaux- Paroles de Michel Sardou

Le pavillon de Flore rougeoit, la Seine s'émerveille à la passerelle Solférino.

Devant le bassin endormi où les sphinges guettent leur image, Bacchus remercie Vertumne et embrasse Sonia en lui glissant un haïku calligraphié à l'encre bleue :

" Elles sont pleines de vie,

Comme elles étaient dans nos deux âmes,

Fleurs de cerisier."

Bashô

Goûte, Goûte, Goûte

Goûte compagnon

Lève ton verre et nous le remplirons

A bientôt compagnons du bousset, je vous retrouverai, en Languedoc-Roussillon, en compagnie d'une faunesse.

de Jean-Honoré FRAGONARD (1732-1806)

L'ESCARPOLETTE (vers 1769)

Huile sur toile

83 cm X 66 cm

Wallace Collection, Londres

Ce tableau est une scène galante, une sorte d'opéra pictural.

Le dix-huitième siècle chante, célébre, magnifie le plaisir.

"... l'escarpolette peu à peu se lançait, montrant à chaque retour ses jambes fines jusqu'au genou, et jetant à la figure des deux hommes, qui la regardaient en riant, l'air de ses jupes, plus capiteux que les vapeurs du vin..."

extraits- Une partie de campagne de Guy de Maupassant

Avec Fragonard, nous sommes au Siècle des Lumières.

La mort de Louis XIV, en 1715, ouvre ce Siècle des Lumières.

Par Lumières, il faut entendre illumination de la pensée critique, arme de la littérature et de la philosophie contre l'obscurantisme du préjugé et les sombres effets de l'injustice.

Fragonard fait le portrait de Diderot qui, avec l'Encyclopédie, va consacrer le triomphe des philosophies.

Arrive l'éclat d'une civilisation brillante, modèle de raffinement pour l'Europe entière.

Ivre de couleur, Fragonard s'impose comme le peintre d'une extraordinaire modernité.

Avec son tableau - Le Verrou- vers 1780, Fragonard peint les charmes du libertinage.

Le libertin, esprit fort, refuse de se soumettre à toute forme de contrainte ou de norme imposée par une morale sociale ou par des impératifs religieux.

Fragonard a peint le plaisir avec ces friponnes rondes et lovées dans le creux de leur lit profond.

C'est maintenant l'heure des nymphes du Palais-Royal, aguicheuses à l'élégance hiératique des divinités de l'Antiquité.

Tout se raidit dans ce Paris, que la Révolution a abandonné à un désordre nouveau fait de catins aux dents longues.

Sans gloire, dans l'oubli de ses semblables, Fragonard pose son pinceau, le 22 août 1806, à Paris.

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